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Je suis venu.e pour rien

Création 2021

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Tentative d’écriture d’un spectacle pour quatre acteurs qui parlerait d’ennui mais qui ne serait pas chiant.

Je me suis beaucoup ennuyée petite. J’ai le souvenir de longues heures de contemplation silencieuse dans ma chambre. Et puis aussi d’autres heures encore en compagnie des adultes, exclue d’hermé- tiques conversations, perdue dans quelque chose d’autre que des pensées, soupirant d’ennui dans la fumée des cigarettes. Mon enfance a été remplie de moments de désoeuvrement de ce genre. L’ennui, ce sentiment pénible de vide qui entraîne une forme de détresse émotionnelle, est pourtant le terrain sur lequel l’imaginaire se déploie. Parce qu’on s’emploie à le fuir, et qu’on fait appel, à cette fin, à toutes nos ressources, l’ennui est indispensable à la créativité et à la réflexion.

 

Un jour, il n’y a pas si longtemps, je me suis aperçu que je ne m’ennuyais plus. J’ai compris que cette forme particulière de langueur, de contemplation, avait presque disparu de ma vie. Ou bien, elle avait simplement changé de nom. Méditation ou yoga, «scrolling» sur les réseaux sociaux. Mon ennui, comme sentiment pénible a été anesthésié par une société qui m’encourage à optimiser le vide tant il y est mal vu de ne rien faire, d’être apathique, mélancolique, ou de bêtement s’ennuyer.

Je me suis interrogée sur le sens d’une vie dans laquelle on ne s’emmerde jamais. Aspiration qui pourrait passer pour universelle mais qui m’est soudain apparue, au contraire, absolument effrayante.

 

On sait depuis que l’on vend officiellement le «temps de cerveau disponible» combien notre monde néo-li- béral a d’intérêts à investir le champ de nos intimités. L’industrie du bonheur prétend pouvoir façonner les individus en créatures capables de faire obstruction aux sentiments négatifs, élargissant le champ de la consommation à notre intériorité. Et s’il est possible et accessible à tous de devenir heureux et épanoui, quel intérêt y a-t-il à se complaire dans un sentiment tel que l’ennui ? L’ennui ne nous rend pas productif au sens où l’entend notre société libérale. Les gens qui s’ennuient font partie des parias de la start-up nation.

 

Deux récits plus que d’autres habitent mon imaginaire tandis que je commence la création de ce spectacle. Il y a d’abord Le champignon de la fin du monde, sur la possibilité de vivre sur les ruines du capitalisme, de l’anthropologue Anna Tsing. Elle s’est intéressé à un champignon d’origine japonaise, le Matsutake, qui a la particularité de pousser dans des zones dévastées par l’homme. Il est surtout présent dans des forêts de l’Oregon et ce sont des personnes plus ou moins marginales, (vétérans du Viet-Nam, exilés politiques du régime communiste Nord Coréen...) qui partent à sa recherche et le revendent à prix d’or. Une manière de montrer des formes de résilience du capitalisme mais surtout d’interroger la notion de «marge». Le livre est construit en «rhizome». Comme Constellations, trajectoires révolutionnaires du jeune 21ème siècle, un récit collectif, une collection d’histoires : des histoires de rétifs, d’inadaptés, de marginaux, des histoires de lutte, regroupées et se faisant écho à la manière d’un rhizome, ici aussi, donc.

J’ai envie de construire mon spectacle sur ce même principe et d’explorer à ma manière cette précieuse notion de «marge». Ces deux ouvrages serviront de support à mon histoire : faire de mes quatre acteurs une communauté qui expérimente loin du monde, sous un abribus, un autre rapport au temps, une communauté marginale d’individus qui revendique le droit à l’ennui, qui le revendique et qui l’expérimente sous des formes plus ou moins absurdes. Ils enquêtent ou alors sans doute cherchent-ils simplement des champignons.

Croiser l’enquête et les tentatives, les expériences. Jeter les acteurs dans le vide. Se demander combien de temps ils sont capables de rester sans rien faire.

Il faudra s’ennuyer assez pour découvrir ce qu’on est capables d’inventer pour fuir ce sentiment. On jouera aux fléchettes, à la bataille navale. On inventera des charades. Des rébus, des trucs chiants comme ça.

On va s’offrir le luxe d’une mise en abîme. Et c’est tout l’intérêt du paradoxe qui consiste à créer un spectacle sur l’ennui en espérant n’ennuyer personne.

« La maladie que j’ai me condamne à l’immobilité absolue au lit.

Quand mon ennui prend des proportions excessives et qui vont me déséquilibrer si l’on n’intervient pas, voici ce que je fais :

J’écrase mon crâne et l’étale devant moi aussi loin que possible et quand c’est bien plat, je sors ma cavalerie. Les sabots tapent clair sur le sol ferme et jaunâtre. Les escadrons prennent immédiatement le trot et ça piaffe et ça rue. »

Henri Michaux

Au lit,

in L’Espace du dedans

Équipe 

Mise en scène Maïanne Barthes

Collaboration artistique / regard chorégraphique 

Estelle Olivier

Avec Cécile Maidon, Slimane Majdi, Cécilia Steiner et Baptiste Relat

Scénographie Alice Garnier-Jacob

Son Clément Rousseaux

Partenaires

Coproduction : Théâtre de Roanne, Théâtre de Villefranche

Soutiens : DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, Département de la Loire, Région Auvergne-Rhône-Alpes, Ville de Saint-Etienne

La reprise de ce spectacle en 2021 a été soutenue par la DRAC Auvergne-Rhône- Alpes dans le cadre du plan de relance et par le Département de la Loire dans le cadre du fonds de soutien d’aide à la reprise pour le spectacle vivant professionnel.

Calendrier

Juillet 2023 - Avignon OFF (sous réserve)

Dates passées

2021-2022

Théâtre de Roanne - 23 oct. 

La Comédie de Saint-Étienne - du 16  au 26 nov.

Théâtre de Villefranche - 2 fév.

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